Orgueilleuse

C’est certain, je ne l’avais pas vu venir, pas cette fois en tout cas.

D’un coup d’un seul, sec et froid, me voilà face contre terre, la respiration s’est faite courte presque haletante.  La tête est lourde. Les yeux me brûlent. Au plus près du sol, il y a la poussière,  et cette poussière, elle s’infiltre au coeur de mes poumons à chacune de mes inspirations; une asphyxie lente et fourbe.

Je suis étendue, j’en ai conscience. Lentement, j’analyse la situation: face contre terre, c’est certain. Mon coeur: c’est donc une pierre qui a pris sa place?  C’est douloureux, ça brûle. Et cette maudite poussière, mon souffle qui la laisse pénétrer en moi, s’immiscer dans mes poumons et nourrir le feu de mon coeur.

J’inspire

j’expire

Je respire

Mon système nerveux recense toutes mes douleurs.  Elles irradient de tous les points.  Je ne suis plus que cette blessure.

Le temps d’avant tout allait bien, tout était normal.  La vie, ma vie était là, je la regrette déjà.  Elle, que je trouvais insipide, me manque, je la chérie et supplie dans l’espoir d’un mauvais rêve.  Mais cette poussière me rappelle au réel, c’est réel! Je suis là, étendue, inerte et souffrante.  La vie d’avant est partie.

Je ferme les yeux.

Etape une: me retourner.  Me retourner pour contempler, pour faire face?

Imperceptiblement, je bascule, je roule, je me retourne et je retombe mollement sur le dos.  Sans un bruit, inutilement silencieux, je constate ma faiblesse.  Mes yeux fixent le ciel, comme quand j’étais petite, étendue que j’étais dans les hautes herbes à regarder le ciel.  Souvenir stupide et inapropos, parce que là, je suis à terre, je contemple le vide. Je décide de fermer à tout jamais les yeux.  Le souffle est toujours court mais la poussière s’en est allée.  Je constate que le poids de mon corps se mesure en tonne.  Ne plus bouger, attendre.

Tout est si confus! Putain, je l’ai pas vu arriver: rien, pas de prémices, pas de sommations, rien.

Au  moment où, je sens cette larme couler, glisser à mon oreille et finir dans mes cheveux, je sais que je suis vivante, moi qui m’aurait voulu morte, je suis désespérément vivante.  Et chaque inspiration va me faire souffrir, souffle court, reste de poussière et coeur explosif, irradiant son venin.

Je sais qu’il va falloir que je me relève.  Par contre, je ne sais pas si j’en serai capable.  Je peux choisir le sol, sa dureté et sa froideur plutôt que de retourner à la vie.  Ce serait plus simple évidement.  Je me laisse du temps.

Je me laisse du temps, mon corps a compris, j’ai compris, mais je ne l’accepte pas. Le plus dur ce n’est pas de comprendre mais d’accepter, de l’assimiler et de laisser partir.

Le temps va devenir pesant, je connais ça, je l’ai déjà vécu.  C’est insupportable.  Ce que je ne sais pas c’est si je peux le revivre…

Mon coeur explose, cette fois c’est sure, c’est fini!

Etape deux: vivre sans lui .

****

« En faite, tu es entrain de me dire que tu m’en veux? « 

Un silence profond se fait en moi, je n’entends plus rien, je ne communique plus avec l’extérieur. Cette phrase tourne en boucle dans ma tête.  Il a rien compris? Il a rien compris.  Je suis atterrée de ma découverte. Il n’a rien compris. Il est sensé m’écouter, me supporter, me réconforter.  Mais non, voilà qu’il ramène tout à lui.  Moi, je voulais des bras chaleureux, je voulais un rapport paternel.  Je voulais qu’il me regarde comme une petite fille; comme sa petite fille.  Il a bien du ressentir cela une fois dans sa vie? Une petite fille c’est mignon? ça attendri?  Quand on est un père, on est touché par son enfant. On a envie de la protéger? la chérir? Cet homme, mon père, en quoi est-il fait? l’attendrissement ? ça lui parle?

On est assis à cette table, comme deux étrangers et lui qui me dit que je lui en veux.  De quoi, déjà? d’avoir quitté ma mère? Hein? Quoi? C’est quoi cet homme?

Je le regarde, je lui ai donné des millions de chance.  Je lui ai tendu la main, je lui ai construit des ponts, j’ai développé des génies de construction en élévation de pont, j’ai étudié toutes les courbes, les possibles, les envisageables.  Il ne viendra donc jamais vers moi? Une occasion, et une belle, là juste devant lui; l’opportunité du siècle même! Prête à tout effacer, tout oublier, juste pour qu’une fois il se comporte comme un père! Je suis là assise avec mes tous juste 42 kg, mes grands yeux bleus et mes longs cheveux blonds, j’ai 6 ans et il ne me voit pas. Il ne me verra donc jamais.  Un simple regard attendri avec quelques gouttes d’amour aurait suffit finalement.

Il sent l’alcool, la cigarette aussi et un peu l’eau de parfum Dior.  Enfant cette odeur était réconfortante, c’était sa présence.  Maintenant je comprends que c’est uniquement cette effluve qui le défini.

Un souvenir me vient, j’ai 3 ans, mes parents vivaient dans une espèce de communauté.  Lui, est jeune et très beau.  Cette beauté fut le malheur de ma mère.  Guitariste dans un groupe de rock, toujours du monde à la maison.  Un jour pour rigoler, il m’a fait fumer une gitane sans filtre, pour me dégouter de la cigarette selon ses dires…deux trois personnes semblaient réticentes, mais j’ai avalé cette bouffée empoisonnée naïve et confiante.  J’ai cru mourrir et lui il a ri, il a ri, à s’en taper la main sur la cuisse en disant « ben comme ça elle recommencera pas ». Il a ri, beaucoup.  Je n’aime pas ce rire, plus jamais.

Je ne lui en veux pas.  D’ailleurs, je lui en ai jamais voulu.  De quoi? La culpabilité l’aveugle. A vrai dire, je m’en foutais.  Si je recherche au plus profond, je m’en foutais royalement.  J’étais même curieuse de rencontrer « L’autre ».  Cette envie de rencontrer l’autre a d’ailleurs développé une culpabilité envers ma mère.  Une sorte de trahison.

Plus tard, assise à la même table:

« Moi, si j’étais vous, je retrouverai vite du travail, parce que là, je ne sais pas comment vous allez faire ».

Je regarde cet homme et son air affligé.  Bizarrement, j’aurais bien aimé que cet air soit sur le visage de mon père.  Même ce monsieur mal fagoté, qui semble usé par son travail déprimant à force de côtoyer la misère a de l’empathie pour moi. Je pense que cette horrible ride qui lui traverse le front s’est creusée au fur et à mesure de son incompétence à aider, à trouver des solutions.  Elle trace en sa chair le sillon du désespoir.

Je vois dans ses yeux, tous les regards désespérés, humiliés, désabusés qu’il a croisé.  Je détourne le regard. Quel horrible miroir!

Des heures après son départ, je reste tétanisée face à ce miroir sorti tout droit de l’enfer de Dante.

A tout jamais et de toute mon âme, vous ne ferez de moi une victime.

****

Une cigarette….puis une autre…s’en suit des millions

J’avais pas arrété? peut être…Assise sur mon balcon, c’est l’été, doux et chaud, à peine installé, l’été vous transforme tout.  Tout s’allége, plus rien n’est grave, surement un reste d’enfance? Depuis que je suis maman mon enfance prend de plus en plus de place dans mes souvenirs.  Je n’ai pas aimé être enfant, mais en vieillissant, je regrette de ne pas avoir plus apprécié cette liberté cachée.  Je n’ai rien vu.  Je suis nulle en anticipation.  C’est pas grave, rien n’est grave, c’est l’été et je fume sur mon balcon.

Tiens on dirait que cela aussi il l’a raté…finalement cela ne m’a pas dégouté…je fume.

Je fume parce que je ne bois pas, je ne bois pas parce que je n’aime pas être saoule, je n’aime pas être saoule parce que j’ai porté à bout de bras nombre de jolies filles, sacrifié  un grand nombre de pince à cheveux pour qu’elles puissent vomir dignement, essuyé le vomi du coin des lèvres, enlever les pantalons et les culottes mouillées d’urine, couchées ces corps morts à l’odeur aigre et pesante. Entendue toutes ces baragouinements inaudibles et débiles qui sortaient de leur bouche pâteuse . Je ne bois pas car j’ai gardé l’esprit clair et été témoin de ce qui se passe quand tout chavire, quand le navire se retourne et que tous roule en noyade éthylique.

La drogue? facile, trop facile.  Et surtout, j’ai vite compris qu’ il faut savoir tirer sa révérence rapidement, s’en retourner lentement, quitter la scène à reculons tout doucement, j’ai tout de suite compris son côté pernicieux.

Alors je fume, je fume par dizaine.  Je peux fumer 20 clopes puis plus rien pendant des mois.  ça me fait marrer de penser au paternel si sûre de lui avec son sourire carnassier du chasseur qui a piégé sa proie.

Raté papa!

Je fume.

D’abord le geste, je m’appelle Romy.  Puis le filtre vient à la bouche, je suis Béatrice Dalle. Ensuite le regard en soufflant la fumée,  je suis Jeanne Moreau, Annie Girardo,  Greta Garbo, Marlène Dietrich, Je suis toutes ses déesses le temps d’une cigarette. Et puis je recommence, Gainsbourg me tend son paquet, Jean Gabin sort son briquet, ouai, je sais, j’ai de beaux yeux. Outil de féminité, arme de séduction , symbole de liberté. Foutaise qui vous tue avec le sourire ultra brite d’un James Dean qui a bien de faire le saut de l’ange avant de se consumer de l’intérieur.

Je fume.

C’est odieux. Odieusement indécent, je suis une punk des années 2000.

***

Froid, dur et solide.  Glaçant aussi.  Coupant parfois. Droit. Rigide. Indifférent.

L’acier.

« Qu’est-ce qu’il y a encore? »

Cinglant aussi.

Rien maman, rien. Enfin si: Tu lui as parlé?

pourquoi faire?

Tétanisée comme toujours, je l’observe. non il semble qu’elle ne lui ait rien dit.  Presque comme si finalement je méritais ce qui m’arrivait. Son silence sous entends que je le mérite.  Pourquoi? cela fait depuis que je suis en âge de réfléchir que je me le demande. Comme si quoique je fasse, je suis punie. Punie de ne pas lui ressembler? Tout dans mon physique lui prouve l’opposition.  Elle a toujours l’air surprise quand elle me regarde, dégoutée aussi et surtout déçue.

Une gène s’installe.

Alors, tu vas faire quoi? tu vas te prendre en main j’espère?

Je sais ce que je dois lui répondre pour mettre un terme à cette conversation.

Je lui donne.

oui.

Bon, ben si tu as besoin tu m’appelles.

Je l’appelle? Je reste estomaquée, une deuxième salve moins puissante certes, mais une salve quand même.

Etape trois : restée droite

Debout et droite, quoiqu’il se passe à l’intérieur, cela fera illusion.  Personne ne remarquera ce putain de boxon qu’est devenu ma vie.  Personne ne pensera que je suis en lambeau. Droite parmi les autres zombies, comédie burlesque, faire semblant, paraitre. Restée droite, tu vois j’ai pris de l’acier.

Droite.

***

Etonnamment,

Parfois l’acier se réchauffe, fond et fini en flaque incandescente difforme.

Mais qui aurait pensé qu’il disparaisse?

Le tube était peut être creux?

A un moment précis, je ne me souviens plus exactement, disons que peut-être un vague souvenir et encore

donc

a un moment précis, j’ai choisi la lumière

certains diront la vie

j’ai mis des oeillères et j’ai décidé que tout était beau

que tout était brillant

et que les gens étaient merveilleux

Parfois une bourrasque vient ouvrir mes oeillères mais j’ai le reflexe immédiat

éblouie par la laideur

de fermer les yeux instantanément!

c’est très pratique comme réflexe

ma conscience n’apprécie guère

mais je me fiche de ma conscience

bien évidement ceci est faux

ma conscience fait que je suis ce que je suis

mais je lui fais des entourloupes sporadiquement

je suis joueuse

elle pas trop.

***

Un jour un homme m’a dit:

faisons un enfant

je n’ai pas décliné

L’enfant est apparu

Et j’ai été obligée d’être heureuse

j’ai été obligée de vivre

et de faire de chaque instant de cette vie, une vie heureuse

J’ai couvert ma tête d’un casque

j’ai emprunté une armure

j’ai armé mes bras

et j’ai déminé le terrain

Chaque jour, j’ai combattu les ennemis

j’ai protégé chaque minute de son souffle

j’ai abrité son corps dans du velour

j’ai camouflé la laideur

j’ai diverti ses yeux de beauté

Mon souffle, mon corps, ma laideur, mes yeux n’existaient plus

j’étais l’enfant

Que j’aime ce costume!

Que j’aime cette métamorphose

Elle m’a obligé à voir tout

d’un coup

et d’en apprécier chaque minute

c’est très cu-cu

mais finalement quel bonheur d’être cu-cu?!

Bonne fête à moi-mère!

***

La première fois que je l’ai vu, je l’ai trouvé petit

c’est bizarre les premières fois?

Sa tête surtout, puis ses mains: des mains au bout carré. Je n’ai rien contre les mains au bout carré avec des petits ongles en général…mais elles ressemblaient trop aux mains du paternel. ça ne tient à pas grand chose les rencontres

Et puis son rire, aigu, tout le temps, à chaque fin de phrase?

Et puis il bougeait d’un pied sur l’autre aussi, une sorte de danse ridicule.

Et de la cire dans ses cheveux

ça ne tient à pas grand chose les rencontres

Alors je suis montée dans ma tour d’Ivoire pour l’observer

Toute la soirée, j’ai décortiqué ses mots, ses gestes, ses non-sens

jusqu’à l’écoeurement

puis j’ai eu de l’empathie pour cet être minuscule dans le fond et la forme

Puis je suis rentrée chez moi

Puis j’ai très vite oublié

ça ne tient à pas grand chose les rencontres.

****

Je te dis que non

Moi, je te dis que oui, c’est comme ça

Non

Alors comment on fait?

je ne sais pas

AH! tu vois, c’est comme ça

Non

viens je te montre

VIENS JE TE MONTRE

VIENS JE TE MONTRE

Je ne sais pas pourquoi mais ces 4 mots m’ont glacé

Je ne sais pas pourquoi du haut de mes 6 ans, j’y ai vu un danger

un risque

une menace

Mais il était plus grand

Il était là « pour jouer avec moi »

C’est ce qu’avait dit ma mère-acier

Et même si je ne l’aimais pas trop parce qu’il sentait le pipi, je dois avouer qu’il savait bien jouer avec mes poupées

Alors, je le tolérai dans mon espace malgré son odeur aigre

Il m’a dit

viens je te montre

Il s’est assis sur le canapé rose avec des magazines sur les genoux

J’ai pas voulu venir m’assoir à côté de lui pour voir

Il m’a dit

tu veux qu’on joue?

alors viens je te montre et après on jouera

Alors, j’ai baissé les yeux et je suis venue m’assoir tout doucement à côté de lui

J’ai tourné la tête et j’ai regardé

J’ai vu

mais je n’ai pas compris ce que je voyais

Il m’a expliqué

Et j’ai découvert l’impossible

je ne pouvais croire ce que je voyais

et pendant que ma tête d’enfant bourdonnait de ses photos pornographiques

Il m’expliquait

En détail

et pourquoi

Il a refermé le magazine et il m’a dit

Viens,

on va faire pareil

J’ai rien dit,

j’ai pas bougé

Il m’a dit viens……

Il est parti dans la salle de bains

Puis il est revenu me chercher sur le canapé rose et il m’a dit

je me suis lavé

on va dans la chambre

Il ne sentait plus le pipi c’est vrai

mais ça ne m’a pas fait l’aimer plus pour autant

Un trou noir

Puis je suis dans le lit nue

Il est nu

Je ne veux pas

Un trou noir

Et puis il s’est énervé et fâché

il est parti

Je me suis rhabillée

Et je suis allée frapper à la porte de sa chambre

Et moi,

enfant de 6 ans, je lui ai dit

on peut jouer maintenant?

Il y a ces moments bien précis et le doute de ce dont je ne me souviens plus

Cela me hante et me tourmente

De moins en mois avec le temps

Il me reste une certitude

Quand l’homme que j’ai choisi a posé pour la première fois ses mains sur moi, il n’y a jamais eu de sang sur le drap.

***

a suivre